Magnifique ! (en cours...)
1.
Magnifique. Il faut dire que la lettre reçue de cette femme il y a quelques semaines m’a interloqué. Oups, voilà que je me mets à parler comme elle ! Elle m’a piqué, la guêpe avec cette définition pleine page de « magnifique » tirée du Larousse encyclopédique : « se dit de quelqu'un qui est extrêmement bien, qui est remarquable par quelque aspect, qui convient parfaitement, qui suscite l'admiration, la joie, le contentement ; formidable, fantastique, merveilleux ». Évidemment que j’ai été flatté, titillé par autant d’éloges – indirects, certes, enfin, pas si indirects que ça. Comment résister à de telles avances insistantes sans passer pour un goujat ? Une invitation à déjeuner s’imposait.
- Déjeuner avec vous dans ce divin restaurant m’honore, mon cher Augustin. Je ne peux que vous redire l’aveuglant éblouissement que je vous exposais dans ma dernière missive. Vous rencontrer m’a plongée dans un puits d’admiration sans fond.
- Vous me flattez !
- Croyez-vous ? Et le hasard ? Je n’avais pas prévu de venir à cette petite sauterie dans le château de la famille de ma future belle-sœur, car mon frère, voyez-vous, change aussi souvent de compagne que de voiture. Alors, une belle-sœur de plus ou de moins… Mais ma vie a sombré dans la vacuité depuis mon divorce, et me redonner une vie sociale, en faisant plaisir à mon frère, m’a semblé un bon compromis. Et alors je vous ai vu, flamboyant, l’éloquence posée et sure d’elle… Merveilleuse m’a semblé cette coïncidence qui me faisait vous côtoyer, vous frôler.
- Vous allez un peu vite, ma chère Jacqueline, nous étions nombreux à cette soirée chez mes vieux amis…
Et là attention, je suis tapé ! si je me mets à lui donner du « ma chère », je ne suis pas sorti de l’auberge, ou du château. J’ai tout fait pour ne pas répondre à ses deux lettres amidonnées à l’envi, deux lettres, oui, envoyées par la poste. Qui fait encore ça de nos jours ? Avec demandes de réponse fort appuyées, mendiant même un simple sms…
- Nous étions nombreux, dites-vous ? Mais je n’ai vu que vous, mon cher, mon bel Augustin, qui éclipsiez tous les autres, si on me demandait le nom d’une seule autre personne présente, je ne saurais en dire la première syllabe, sauf votre ami, bien sûr, que je n’oublierai jamais, et sa gentillesse à me donner vos coordonnées le lendemain. J’ai dû insister, il devait demander votre autorisation, que vous avez donnée, et cette minute où je les ai reçues m’a comblée d’un bonheur que je n’avais connu depuis longtemps. J’en aurais presque supplié mon frère de poursuivre assidument avec sa nouvelle compagne, pour avoir l’occasion de vous revoir, fortuitement. J’avais si peur que vous ne me répondiez jamais, que vous coupiez court. Moi qui rêvais nuit et jour de vous déclamer mon admiration, le jour je rendais hommage à votre esprit dont j’avais perçu l’immensité, la nuit à votre corps dont je rêvais qu’il m’enveloppe. Mais je vous choque, sûrement…
Nous y voilà. Je subodorais juste.
Une fois évacué le fou rire, ses deux lettres m’avaient entrainé dans un torrent de perplexité !
La première me posait une équation que même les humoristes chevronnés n’ont jamais osée : « Vous savez que sur terre et en France en particulier, il y a plus de femmes que d'hommes. Soit, si on calcule (je peux me tromper), 1,7 femmes/1 homme, par exemple. Ceci conduit à dire qu'un homme « moyen» doit réussir à faire le bonheur d’une femme et demie, et que les femmes ne doivent plus être jalouses tandis que les hommes doivent tendre à être un peu plus altruistes et prodigues. Il faudrait que ces êtres d'exception fassent preuve d'un peu plus de dévouement pour accepter de venir au secours de quelqu'une ».
Là je suis resté scotché. Comme moyen de drague, je n’ai jamais connu plus rationnel ! Quant à l’efficacité, j’ai des doutes…
- Oh vous savez, Jacqueline… [j’ai enlevé le Ma chère, ça vaut mieux]… il en faut plus pour me choquer. Je vous écoute, j’essaie de comprendre.
- Comprendre, mais je vous l’ai écrit, mon éblouissement, mon admiration, la fascination que vous exercez sur moi, bel Augustin. Ce prénom du Grand Meaulnes que vous portez si magnifiquement. Car c’est bien de magnifique qu’il s’agit, ce mot dont je vous ai joint la définition du Grand Larousse encyclopédique. Mais l’avez-vous seulement lue ? Ma définition, pas le Grand Larousse…
Si je l’ai lue… nous ne devons pas avoir la même version de son cher dictionnaire.
Le mien, en 12 volumes, donne une tout autre définition, étymologique, qui peut-être donne sens à ma largesse du jour. « Du latin magnificus, qui fait de grandes dépenses, fastueux, somptueux, grandiose, de magnus, grand, noble, important, et de facere, faire. » Les dictionnaires plus récents confirment à la fois la généreuse prodigalité et la grandiose somptuosité.
Avait-elle occulté ce sens, pour me flatter et me pousser à cette invitation, un restaurant que je ne dirais pas somptueux, mais plutôt bon. Quitte à passer un moment difficile, autant flatter son palais !
- Et comment trouvez-vous le déjeuner ? étiez-vous déjà venue ?
- Vous savez, je suis arrivée récemment, et ma vie sociale a été bien pauvre. Le déjeuner est magnifique, comme le cadre, comme vous, je bois vos paroles, certes rares, et me noie dans vos yeux. Magnifique, forcément magnifique !
- Ressusciter Duras en la parodiant, est-ce encore possible avec ce procès qui fait l’actualité internationale, et si près de nous ?
- Les violeurs de Mazan… ce mari ignoble… comment des hommes peuvent-ils faire cela ? Ce n’est pas vous, mon cher Augustin, que nous aurions pu retrouver sur le banc des accusés. Vous êtes bien trop noble et merveilleux !
- Certes non, n’ayez aucune crainte, je suis aussi choqué que vous par cette affaire innommable. Mais méfiez-vous, ces hommes sont partout, de partout, ils sont comme moi, j’aurais pu être l’un des leurs si, depuis longtemps, je n’avais fait du respect des femmes mon mantra suprême.
- Je le savais, je savais que vous êtes un homme admirable, au-dessus de ces monsieur tout le monde. Vous êtes éblouissant, je vous l’ai écrit, et redit, je vous le répète. Et j’ai été littéralement éblouie, je ne ferai pas affront à votre intelligence en laissant croire que vous ne l’avez pas compris.
L’éblouissement prend des voies imprévisibles ! La revoir, est-ce vraiment ce que j’ai souhaité ? Nous avions bavardé, si peu, lors de cette fameuse soirée, j’ai dû faire mon bourreau des cœurs, ça m’arrive, sentir le pouvoir de ma séduction. Mais de là à entrainer un tel tumulte d’adoration, stop là. Elle n’est pas laide, mais pas tout à fait mon genre, un physique banal, sans rien qui dépasse, en tout cas pas cette lueur torride dans les yeux qui m’entraine, pas ce corps langoureux qui se laisse deviner sous des vêtements subtilement choisis, pas de trace de cette fièvre soigneusement cachée qui me gagne par capillarité. Alors, après ses supplications épistolaires j’ai opté pour un déjeuner au restaurant, terrain neutre. Car il va bien falloir que je lui parle. Si elle m’en laisse l’occasion…
- Et cet article, Équations conjugales, que je vous ai joint, vous l’avez lu, bien sûr. Vous faites l’indifférent, mais je sais bien. Plutôt amusant sur les motifs des rencontres, les couples qui durent, ou non. J’ai connu un échec. Mais tout le monde devrait avoir droit à une seconde chance, non ?
- Jacqueline, certes, vous y avez droit… personne ne veut vous en empêcher…
- Mais vous…
- Et si d’abord vous me parliez de ce dessert, que vous semblez déguster avec grand plaisir, vous allez me faire regretter...
- C’est une tuerie, mes sens sont en émoi, ma langue ne sait plus où donner de la tête, je suis damnée, Augustin, je suis emportée par le plaisir, ne peux plus résister à rien…
- Une tuerie, vous faites dans l'hyperbole !
- Une tuerie, j’insiste. Je vous fais gouter, une cuiller…
- Franchement, le chocolat, non, j’ai beau fouiller dans mes archives, non.
- Oh vous êtes trop raisonnable, mon cher Augustin, moi qui rêve de vous entrainer dans un tourbillon de plaisir.
L’alcool l’enfièvre. Deux verres de vin et elle va m’entrainer dans son lit. Dans quel bazar je me suis fourré ! Alors que je pouvais rester tranquille, ne pas répondre à ses lettres, l’évincer poliment. Il a fallu que je me jette tête baissée dans ce guêpier, alors que c’est à d’autres guêpières que je rêverais plutôt, en ce moment.
**************
2.
Ses cuissardes m’enserrent le buste, des cuissardes longues, interminables, dont les talons taquinent mes reins. D’un cuir verni brillant, bizarre, comment je le sais ? je ne peux pas les voir, sa guêpière encercle ma tête, l’enveloppe d’un halo confus, espoir, attente, désir. Mes lèvres se tendent vers ses seins, bombés, gonflés, le gauche m’échappe, le droit se dérobe, ma bouche goulue insiste, la guêpière la repousse, ne lui laisse aucune ouverture. Mes mains tentent une diversion vers les rubans, les dénouer, toucher la peau. En vain. J’essaie de voir un visage, impossible, mon champ de vision s’obscurcit, des doigts glissent vers mon entrecuisse, mon membre crie grâce, j’explose !
Vaseux. Nuit noire. Pas l’habitude de me réveiller comme ça, je suis connu pour mon sommeil lourd, dormir comme Augustin, plaisanterie surfaite si le moindre rêve en a raison ! Enfin, rêve pas si moindre si j’en crois l’explosion finale, c’est pas si souvent que les voluptés nocturnes m’entrainent aussi loin. Et ce visage que je n’ai pas vu. Cuissardes brillantes et guêpière à rubans, évidemment, dans mon imaginaire érotique, ça tient sa place. Mais je ne suis pas du genre à être attiré par un corps sans tête, le sourire, les yeux, l’expression d’un visage y tiennent autant de place que les seins rebondis.
Non, pas possible, ça ne peut pas être le déjeuner avec Jacqueline qui m’ait fait cet effet. J’ai d’autres fers sur le feu. Et si je me suis amusé de son rentre-dedans désuet, aucun sex-appeal ne m’a effleuré, sinon, vous pensez bien que j’aurais foncé. Et je ne l’aurais pas laissée comme deux ronds de flan, sous je ne sais quel prétexte urgent, payant bien sûr avant de m’éclipser, béotien certes, mais grand seigneur.
Urgence, me rendormir, j’aurai bien le temps de ressasser ce rêve plus tard. Et cette jouissance volée à la nuit devrait bien m’y aider.
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Dring ! dring ! ça fait combien de temps que mon téléphone sonne ? je le jette, geste manqué… qui appelle à cette heure… ça se fait pas… encore heureux que je bloque la sonnerie la nuit… ça recommence… dring… dring… ah le voici… le son me dirige… sous la table de nuit… numéro inconnu… normalement je ne réponds pas… mais pour insister, à cette heure matinale… ma main encore embrumée d’une nuit chargée l’empoigne… « allo ».
Oh là là, c’est ma fête ! qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? mon matin embrumé méritait mieux…
- Augustin, mon cher Augustin…
- Mais qu’est-ce que c’est que ce numéro ?
- Mon cher Augustin, de rage j’ai jeté mon téléphone, et cassé…
Ah, elle aussi, voyons ses raisons…
- Votre départ soudain, sans explications, vous dirigeant vers la caisse pour payer, courtois certes, mais à peine, le garçon me rattrapant dans ma chute « ça va Madame ? vous avez besoin d’aide ? », je me relève, la bouche écarquillée de tous ces mots qui ne peuvent pas sortir, attrape mon sac, le garçon m’apporte mon manteau, m’aide à l’enfiler, ce n’est pas vous, Augustin, vous étiez déjà avec votre carte bleue, mes jambes flageolent, je vais vers vous, aussi vite que je peux, mais la salle est longue, le temps que j’arrive à la caisse, je me précipite pour un baiser, un seul petit baiser, que vous esquivez, à peine une légère bise sur ma joue et vous sortez, en me tenant la porte, certes, strict minimum de la galanterie officielle… Mais qu’est-ce qui vous a pris de partir ainsi, qu’est-ce que je vous ai fait ?
Je vous l’avais bien dit, c’est ma fête !!! Tout ça au réveil, sans la moindre précaution…
- Désolé, Jacqueline, mais vous me réveillez, là, est-ce que ça se fait de réveiller les gens pour les agonir ainsi ?
- Vous réveiller ! mais vous avez bien de la chance d’avoir dormi ! j’aurais bien aimé dormir, moi aussi ! si vous saviez la nuit que j’ai passée, à me retourner, un côté, puis l’autre, à ressasser, ces mots que vous n’aviez pas dits, que j’attendais, que j’attends encore… comment pouvez-vous rester indifférent… comment pouvez-vous opposer le silence à mes avances… n’ai-je pas été assez claire… j’ai failli renverser la table, en me relevant j’ai entrainé un coin de la nappe, la vaisselle qui menaçait de suivre, le bel éclat que j’aurais provoqué au sol, heureusement que le garçon était là, vous étiez déjà à l’autre bout de la salle, sans un regard… cette froideur…
Qui cachait mon fou rire, et celui des tables alentour, pas vraiment le niveau de distinction que promettaient ses missives enflammées. Direction les archives, direction l’oubli, c’est bien là où on range ce dont on n’a plus besoin. Clap de fin.
- Moi qui vivais dans l’espoir… que vous avez ruiné en une seconde, avec ce regard assassin, ce n’est pas vous, Augustin, pas vous… seriez-vous double, un Dr Jekyll cachant un Mr Hyde… j’ai retourné toute la nuit vos deux faces, votre regard enjôleur qui m’a emportée, je ne vous l’ai pas volé, ce regard charmeur, c’est bien vous qui me l’avez décoché, que dis-je, soutenu, c’est bien vous qui m’avez invitée à déjeuner… et l’autre face, en une seconde, ce regard assassin… que j’ai voulu oublier, hier après-midi, me convaincre que non, je m’étais trompée, me consolant comme je pouvais, j’ai appelé mon frère, pour lui parler de vous, hélas en vain, il ne vous a même pas remarqué, sa compagne peut-être, il va se renseigner, attention, c’est un jaloux derrière ses conquêtes, en attendant il m’invite, au château, en plus petit comité, pour me présenter mieux sa chérie, j’ai rêvé que vous en soyez, de ce diner, j’en doute, comment convaincre le beau-frère de vous inviter… et puis la nuit, terrible, qui m’a fait tout revivre, ces moments de magie avec vous, vos regards, vos paroles, certes rares, mais engageantes, ce déjeuner…
- Écoutez, Jacqueline, je vais raccrocher. Maintenant, il faut arrêter. Je ne suis pas disponible. Je suis un homme marié, j’aime ma femme, et n’ai pas pour habitude de papillonner ailleurs. Je sais que je vous déçois, que vous attendiez autre chose, mais vous avez fait erreur, depuis le début. Vos lettres sont belles, vous avez du talent, elles sont rangées dans mes archives. Quant au château, je vous le laisse, ne faisons pas dans le psychodrame, de grâce.
- Marié, qu’est-ce que ce prétexte, ces conventions… vous étiez bien seul à notre petite sauterie…
- Mon épouse était absente, obligations familiales. Et je n’ai pas d’explications à vous donner. Maintenant basta !
- Vous ne pouvez pas m’empêcher de vous appeler, de me raccrocher à vos réponses, même désagréables…
- Si, la technique le permet ! je vais bloquer votre numéro…
- J’en prendrai un autre…
- Je le bloquerai…
Ouahhh, question psychodrame au château, elle se pose là ! Si elle avait idée, la Jacqueline, de mon rêve de la nuit, où elle ne figurait pas. Un prétexte, mon épouse, c’est le seul point sur lequel elle a vu juste, la folle.
Mais que diable suis-je allé faire dans cette galère ! Et dans ce château… mon ami m’avait prévenu quand il m’a demandé l’autorisation de donner mes coordonnées, « je ne la connais pas, Augustin, tu fais comme tu veux, t’es pas obligé ». Mais j’ai pas pu m’empêcher, dès qu’un jupon tourne autour de moi, il faut que je fasse mon malin.
Fixer les urgences, maintenant.
N° 1 : bloquer le numéro… facile, c’est fait.
N° 2 : demander à mon ami de ne plus jamais m’inviter en même temps qu’elle… facile, une bonne occasion de l’appeler et de rire un peu.
Et basta !
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3.
Le soleil s’impose. Pas gagné dans cette région. Quoi que, après le brouillard du matin, aurait dit ma grand-mère…
Le terrain de golf est calme, René, mon partenaire habituel vient d’arriver, en retard, comme d’habitude, ça m’énerve, il le sait, mais rien à faire, et il me répète que c’est pour mon bien qu’il arrive en retard. Ça me donne le temps de faire du practice. Il a pas tort. Nettement meilleur que moi au swing. Nettement meilleur que moi sur les dix-huit trous. Je compte sur la moitié des doigts d’une main les fois où j’ai pu gagner contre lui.
Mais bon, sur le terrain de golf, grisé par le plein air, j’en oublie même combien je peux être mauvais perdant ailleurs. En fait, si je résume, je joue au golf pour marcher, me donner l’illusion de faire du sport, et réserve la gagne pour d’autres activités.
Quant à René, un peu plus âgé et beaucoup plus fort que moi, c’est une sorte de sage, qui joue pour penser, prendre du recul sur le monde, et le pire c’est qu’il gagne. Sa sagesse m’aide, j’en oublie tout, même que ce jeu ne me laisse aucune chance. Nous parlons, et c’est ce qui compte. Et je ne peux pas m’empêcher de lui parler de cette Jacqueline qui me poursuit. Nous avons beaucoup ri de ses lettres, et René, toujours prudent, n’a pas pu s’empêcher de glisser : « Chaude du cul et un brin cinglée, ça te plait d’habitude ! ». Pas faux, acide le René, il me connait, même si le « un brin cinglée » me semble en deçà du personnage. Enfin passons !
Le soleil se maintient. René chausse ses lunettes de soleil et visse sa casquette sur son crâne. Nous entamons les premiers trous. En silence. Qui dure. Jusqu’à ce que :
- Tu me caches quelque chose… toi muet… j’ai jamais connu un Augustin version carpe…
C’est vrai que, face au René, bon joueur et sage (ou peut-être parce que) c’est toujours moi, d’habitude, qui ouvre les hostilités, racontant à l’envi toutes mes petites histoires de la semaine, me faisant mousser avec des trois fois rien…
- Allez, vas-y, crache la, ta Valda !
Oups, le René se lâche, lui toujours aussi contenu dans sa parole que dans son costume de golfeur !
- Ne me dis pas que c’est encore ta cinglée…
- Si, un peu, mais y a pas que ça…
- Alors lâche-toi, tu ne sens pas mon impatience qui bouillonne !
Ah, je le retrouve. Par où commencer ? Mon rêve érotique, c’est sûr que ça va lui plaire. Et le mettre en appétit. Peut-être même que je vais le battre, si j’arrive à être assez explicite. Sous la sagesse, il y a souvent un vicieux qui dort, et mon René n’échappe pas à la règle. Ça mord, il tend plus que l’oreille. Mais hélas ne se détourne pas de son putt. Je tchatche, baguenaude, en rajoute, perdu pour perdu… au moins je m’amuse.
- Hello, mais c’est toi, Augustin, et avec René, c’est vrai que vous jouez ensemble, ça boume ?
Ça boume, ça boume… qui dit encore ça aujourd’hui ? ça marque une génération… celle des golfeurs, c’est vrai…
- Et toi, tu as quitté ton château ? Il s’est endormi ?
- Je dirais plutôt qu’il se réveille. D’ailleurs, ça tombe bien, il faudrait que je te parle.
- De quoi ?
- Plus tard, finissez votre parcours. Profitez du soleil.
- Ça risque d’être long.
- Mais j’ai tout mon temps, à mon âge, et puis quand je sors de mon château, il faut que ça en vaille la peine.
Ah, ce Philippe, incorrigible, à te retourner toujours la pique que tu lui as envoyée…
- On se retrouve au club house.
- Oui, mais ne disons pas d’heure, c’est plus prudent !
Le green s’est peuplé, comme si l’arrivée de Philippe et de son partenaire avait drainé sur son passage tous les golfeurs des environs. Ou, disons plutôt que j’étais venu tôt, et même si René a un peu trainé, nous avons pu, un temps, avoir le green pour nous. Ça n’a pas duré. Mais bon, ma passion du golf n’est pas si forte ! Juste un moyen de me tenir en forme, marcher, parler. Avec René, mon vieux copain, c’est parfait, il est content de gagner, et ne renâcle pas à nos bavardages, puriste mais pas trop ! Après un Par 3, il a réussi un Birdie, pas la classe compétition, mais quand même, sur un parcours avec un amateur comme moi, ça renforce un peu l’ego. Caddies rangés dans nos voitures, nous abordons ce que je préfère dans le golf, la tournée au club house, expresso, limonade locale ou petit blanc, selon les jours et notre humeur. René me charrie à nouveau sur ma « cinglée », qu’est-ce qu’elle a pu me faire pour que j’en perde la parole. Pas totalement, certes, mais c’est vrai que je suis moins en verve aujourd’hui. « Elle t’a coupé le sifflet ! » Et voilà qu’il insiste, cette Jacqueline, franchement, j’ai envie de tout sauf de penser à elle ! Il dévie sur ses problèmes de couple, une relation bizarre, depuis longtemps, avec une femme qui est loin d’avoir sa classe, un peu mémère, un peu vulgaire, ça se chamaille, lui qui n’élève jamais la voix avec quiconque d’autre, ça se fâche, puis ça se réconcilie sur l’oreiller, elle doit avoir des qualités in visibles pour le commun des mortels.
- Tiens, mais c’est… comment déjà… ah oui, Philippe…
- Mais René, tu m’inquiètes, je lui ai parlé tout à l’heure, je l’ai même rancardé, tu perds la boule ou quoi…
- Philippe, oui, je me souviens, c’est juste son nom qui m’échappait…
- C’est vrai qu’à notre âge…
- Pour le reste ça va, c’est juste les noms… bon je te laisse, merci pour la partie. À plus.
Philippe en vieux beau. J’ai toujours trouvé qu’il avait de la classe, vêtements de bon ton, chics évidemment, mais sans chiqué excessif ; mais là, aujourd’hui, il y a quelque chose. Cette veste à la Barbour de luxe sur un polo Ralph Lauren, lui si indifférent d’habitude aux marques extérieures de richesse, comme s’il avait besoin de faire oublier ce château qu’il a récupéré il y a une dizaine d’années, une histoire de famille, c’est tombé sur lui, et depuis il réserve moins d’argent à ses habits qu’à ses toitures. Et ce type avec qui il jouait ce matin, qui est toujours là, à côté de lui, j’essaie de me souvenir, est-ce que je l’ai déjà vu quelque part. Il vient là avec lui, pourtant il m’a dit qu’il voulait me parler. René s’est esquivé, son partenaire a l’air de s’accrocher, lui. Plus jeune que Philippe, un physique étonnant, de ceux que l’on ne remarque pas, et pourtant, des yeux qui vous sondent, que vous n’oublierez pas, c’est ce qu’il vient de faire avec moi, plonger ses prunelles de manière indélébile dans mon crâne.
- Ah, Augustin, te voilà, je te cherchais…
- Oui, on devait se voir…
- René est parti ? Nous aurions pu déjeuner tous ensemble… je te présente Laurent, mon futur beau-frère.
- Bonjour Augustin, ravi de vous revoir, nous nous sommes aperçus à cette belle soirée.
- Laurent, Laurent, enchanté, enchanté…
- Oh là là, Augustin, t’as un bug, là !
- Excuse, faut que j’aille au petit coin.
- Je t’accompagne.
Oh là là, c’est ma fête ! Manquait plus que ça. Je rêve, là. Voilà qu’il me met dans les pattes le frère de la cinglée. Trouver une excuse, n’importe laquelle, pour filer.
- J’me sens pas très bien. Le café que j’ai bu tout à l’heure m’a retourné l’estomac. Je vais pas pouvoir déjeuner.
- Augustin, je te connais comme si je t’avais fait, le café n’a rien à voir là-dedans.
- Mais pourquoi tu m’amènes ce… ce Laurent… c’est le frère…
- Frère plus jeune, comme ma petite sœur, dix ans d’écart, de chaque côté, alors tu sais, en dix ans, les choses peuvent changer, en bien quelquefois.
- Mais pourquoi tu me le mets dans les pattes ? Et tu sais que c’est un sacré coureur de jupons, ta sœur a intérêt à avoir l’œil !
- Ça c’est le problème de ma sœur, et même si elle reste toujours ma petite chérie, je vais pas jouer le chaperon. Et comment tu sais ça, toi, d’ailleurs ?
- Encore une histoire de sœur, et franchement, celle-là, j’aurais préféré m’en passer !
- Ah, celle qui m’a supplié de lui donner tes coordonnées, bourreau des cœurs !
- Oui, ce jour-là tu aurais mieux fait de rester tranquille, tu m’aurais évité de fuir maintenant.
- Comme tu veux, mais je pense que tu as tort. Laurent est un gars correct, il a du style, et il pourrait te dire des trucs qui te surprennent.
- Allons bon !
- Et puis, honnêtement, t’as quoi à perdre. Déjà que René est parti, tu ne vas pas déjeuner tout seul dans ton coin, ni rentrer chez toi la queue entre les pattes. Qu’est-ce que tu risques, au pire te barber, au mieux rire un bon coup !
Le restaurant affiche presque complet. Pour un midi en semaine… le soleil a fait sortir le loup du bois. La grande salle est pleine. Heureusement, Philippe avait eu la prudence de réserver une table pour quatre le long de la baie vitrée, la vue sur la vallée, jusqu’au lac, je ne m’en lasse pas, il me semble apercevoir un héron cendré, mais à cette distance, ma vue n’est plus si bonne… pour les trous de golf ça va, mais pour vraiment reconnaitre un oiseau près du lac…
- Vous avez vu les aigrettes… des blanches… quelle famille exactement… nous sommes loin… toujours en groupe… c’est magnifique…
- Eh bien, Laurent, si j’avais su tes connaissances de la faune…
- Des rivières, lacs et étangs. Je suis moins bon dans le reste. Question de métier.
- Je te savais scientifique, mais ne te connaissais pas cette spécialité.
- Oh, c’est une spécialité très solitaire, le retour à la vie sociale n’est pas toujours facile. Cela m’a couté plusieurs relations amoureuses, les femmes se lassent de me voir en admiration devant des oiseaux, trop sauvage, trop isolé, elles résistent un certain temps, pensant que ma faculté d’observation va aussi se tourner vers leur beauté, et c’est vrai, mais peu à peu la jalousie les gagne, elles n’admettent plus de partager mon admiration avec les hérons, aigrettes et autres bécasses, elles s’aigrissent, et je me lasse de leur égoïsme si humain !
- Et ma petite sœur, alors, tu lui destines le même sort ?
- J’espère que non, pour l’instant elle se passionne pour la bergeronnette des ruisseaux, un tout petit oiseau à la délicate poitrine jaune. Mais qui sait !
Non, mais je rêve, celui qui m’a été décrit comme un coureur de jupons, en fait c’est un doux rêveur, fada des oiseaux. Bon, les belles perdent face à cette passion, il leur faudrait une belle part de rêve enfoui qui n’attendrait que le baiser d’un bel ornithologue ! Et là, j’ai du mal à voir le rapport avec sa sœur. Certes ils ont dix ans d’écart. Mais comment des parents peuvent-ils avoir des enfants si différents ? Je dois me poser cette question au moins deux fois par semaine…
- Où es-tu Augustin, perdu dans tes pensées…
- Désolé…
- Alors, c’est vous, le bel Augustin dont ma sœur me rebat les oreilles depuis deux mois… Elle a bon gout, cela dit.
- Merci pour le compliment, mais, vraiment, je me serais bien passé de cette toquade, et, franchement, je n’y suis pour rien !
- Vraiment ? Elle m’a tellement parlé de votre déjeuner qu’elle attendait transie… Après, c’est bizarre, je ne l’ai plus revue, j’ai essayé de l’appeler une fois ou l’autre, répondeur, et comme franchement j’ai autre chose à faire, j’ai laissé couler.
- Eh bien, continuez !
- Eh, franchement, les gars, vous allez continuer à vous vouvoyer longtemps ? Laurent, tu serais pas tombé dans le panneau ? Je le connais, Augustin, et là je peux te dire qu’il a été énervé.
- Oublions… d’accord pour te tutoyer, Laurent, à une condition, que tu me parles des oiseaux, et non de ta sœur !
- OK, parfait, mais tu sais, Jacqueline c’est une cinglée, je la vois aussi peu que possible. Là, pour cette soirée dans le château de Philippe, avec ma chère Clémence, il a fallu qu’elle insiste longuement pour que je l’emmène…
- Elle m’a dit exactement le contraire…
- Pas étonnant, j’ai toujours peur des dégâts en société avec elle ! le côté château la fascinait, Philippe a bien fait de s’écarter vite fait, sinon elle ne t’aurait même pas vu, Augustin, nonobstant ta beauté !
- Et les oiseaux, Laurent, les oiseaux, comment on en arrive à passer sa vie à observer les oiseaux ?
- C’est une longue histoire…
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4.
Les oiseaux nous ont tenus un moment, cette passion dans les yeux de Laurent, à nous montrer un bruant des roseaux que, même avec des jumelles nous n’aurions su voir à cette distance, que lui distingue par je ne sais quelle magie. Ou plutôt devine-t-il, en connaisseur parfait des milieux aquatiques, qu’il nous décrit avec minutie, les hors d’œuvre sont terminés qu’il continue toujours. Nous attaquons le plat principal quand il se tourne vers les arbres de la vallée, des mésanges, bleues, charbonnières avec leur ventre jaune, c’est tout ce que j’aperçois, cette tache jaune. Décidément, il en faut de l’abnégation, des heures d’entrainement à regarder – n’est-ce pas ce qui nous manque, souvent – des heures à apprendre des noms plus étonnants les uns que les autres. Ou plutôt ce qui me paraitrait abnégation est-il tout simplement motivation, intérêt, certes pas le plus communément partagé, mais…
- Au fait, Augustin… oh, désolé Laurent de te couper dans ton élan, c’est passionnant, mais…
- Mais oui, je te barbe, Philippe, je sais, j’ai l’habitude, c’est comme ça que j’ai fait fuir des femmes …
- Non, c’est passionnant, je t’assure, mais je voulais prévenir Augustin du diner auquel tu voudrais l’inviter.
- Un diner… vous m’en direz tant…
- Oui, c’est un diner en petit comité, et je vous promets à tous les deux que je ne parlerai pas d’oiseaux.
- Et en quel honneur, ce diner en petit comité ?
- Nous voudrions faire comme des fiançailles, ma chère Carole y tient beaucoup, et si je ne veux pas la faire fuir elle aussi… et depuis que je vous connais tous les deux, je me dis que j’ai aussi intérêt à lui passer quelques caprices, je n’ai pas tant d’amis…
- Et qu’est-ce que je viens faire dans ce diner de fiançailles ?
- Mais tu fais partie de la famille, maintenant ?
- J’ai du mal à saisir…
- Depuis votre diner, et son « after », ma sœur ne jure plus que par toi. Et elle n’est pas non plus tout à fait étrangère à cette idée de fiançailles.
Je m’étouffe. La bouchée que j’étais en train d’avaler se coince dans ma gorge. Je tousse à en faire se retourner la moitié de la salle. Philippe se lève pour me taper dans le dos, un voisin de table s’approche, je suis médecin, la bouchée finit par se décoincer, je retrouve la respiration, le médecin prend mon pouls, tout va bien, vous pouvez continuer jeune homme, plus de peur que de mal…
- Augustin, mais tu nous as fait peur… qu’est-ce que j’ai dit ? C’est Jacqueline… elle est tellement heureuse depuis qu’elle t’a rencontré… elle saisit toutes les occasions…
- Oui, mais, Philippe, le problème est peut-être bien là… je le connais mon Augustin, mutique quand la situation est grave !
- Et qu’est-ce qui est grave, mes fiançailles ? C’est vrai que c’est un engagement, mais de là à s’étrangler…
- Bon, cherche un peu, les oiseaux t’aveuglent, une fois de plus, l’idée de ces fiançailles, ça vient d’où ? Pas de ma sœur, elle a largué tout le quota de vieux-jeu de notre famille…
- La mienne… Jacqueline… mais…
- Mais… mais… ouvre un peu les yeux, ou les oreilles, tu es nettement moins bon dans les humains que dans les oiseaux… ta sœur…
- J’y comprends plus rien… je l’avais perdue de vue, depuis longtemps, trop pris par mes recherches, elle par son mari, pas une flèche… son divorce, c’était pas trop tôt… et puis sa solitude, elle est revenue par ici, on a recommencé à se voir, de temps en temps, je l’ai emmenée à la soirée chez toi, Philippe, et là ce bel Augustin qui lui a redonné le gout de vivre. Je ne demandais pas plus pour elle…
- Et elle t’a raconté…
- Ses lettres enflammées, les messages très encourageants qu’elle recevait en retour, l’invitation à déjeuner, je crois qu’elle a mis trois jours à se pomponner, et ce qui a suivi, elle n’est pas entrée dans les détails, trop pudique, et entre frère et sœur, nous n’avons jamais eu l’habitude de telles confessions, mais son corps qui vibre à chaque évocation de ce déjeuner, de l’hôtel, elle ne m’a pas dit combien de fois, ni où…
- C’est là où le bât blesse…
- Quel bât ?
Philippe commence à être à court… Je lui ai raconté l’histoire à grandes lignes… Il m’a déjà bien déblayé le terrain avec son « bât blesse », et tendu une perche… Mon étranglement est oublié, j’ai eu le temps de reprendre mon souffle et mes esprits en les écoutant.
- Mytho, complètement mytho…
- Quoi ?
- Excuse, Laurent, je te connais si peu, tu m’es sympathique, mais ta sœur, c’est du vrai mytho…
- Comment ça ?
- Mytho… bobards… elle t’a bien mené en bateau…
- Mais comment ça ? Et pourquoi ?
Je commence à lui raconter, notre rencontre fugace, mon jeu de séducteur à la petite semaine, pour moi sans suite. Puis ses lettres, complètement barrées. Et insistantes, suppliantes presque. Me demandant sans cesse de lui répondre. Ce que je ne faisais pas. Une ou deux fois je me suis fendu d’un sms ultra bref. Puis, fatale erreur, j’ai voulu comprendre mieux ce qui se passait dans sa tête, pourquoi elle faisait cette fixette sur moi. Et, grand seigneur, je n’ai pas voulu, ni lui faire le coup du silence – le ghosting des réseaux – n i l’éconduire par un sms - une lettre, faut pas exagérer, là ç’aurait été au-dessus de mes forces – Alors, j’ai pris mon courage à deux mains et l’ai invitée à déjeuner, dans un bel endroit, pour que ça ne fasse pas trop vulgaire, la scène était déjà assez sordide. Elle est devenue insistante, au dessert c’était plus que gênant, je suis allé payer et je suis parti, lâchement, sans un mot. Pas d’after, ni d’hôtel, tout ça c’est du mytho, des bobards. Qui doivent lui faire du bien, la rassurer, mais je n’y suis pour rien.
- Et alors, ça a été fini entre vous ? Plus d’échanges ?
Oh si, elle a bien essayé. Les SMS, auxquels je ne répondais pas. Un appel, numéro inconnu, elle avait dû changer de téléphone, ou de ligne, j’ai essayé de lui faire comprendre que non, il n’y aurait rien entre nous, qu’elle se montait le bourrichon, que je suis marié, que je n’ai pas envie d’aller voir ailleurs, mais rien n’y faisait, j’ai raccroché, bloqué ce numéro, et demandé à Philippe de ne plus jamais m’inviter avec elle !
- J’ai tenu ma promesse, tu le reconnaitras…
- Et cette invitation ?
- Non, Augustin, détrompe-toi, Philippe n’y est pour rien, j’ai accepté de venir jouer au golf avec lui pour lui demander s’il nous accueillerait dans son château pour ce déjeuner de fiançailles que ma tendre Carole vient d’accepter. Et c’est moi qui lui ai dit que je souhaitais t’inviter, sur recommandation expresse de ma sœur.
- Et si je n’avais pas été là aujourd’hui ?
- Oh, tu sais, mon cher ami, je connais tes habitudes, tes jours de golf…
- Oui, Philippe, et si tu n’avais pas été là, Laurent, nous aurions provoqué une autre occasion. Au moins, c’est fait !
Mais les choses se corsent, l’étau se resserre… Comment refuser l’invitation de Laurent sans le blesser ? Comment me sortir de ces bobards la tête haute ?
- Je ne peux évidemment pas accepter…
- Évidemment que tu vas accepter. Ce n’est pas pour ma sœur que je t’invite, mais pour moi. Ma sœur, tu sais…
Et le Laurent réservé lâche les digues… Dix ans de plus que lui, elle a toujours voulu jouer le rôle de seconde mère que personne ne lui demandait de tenir. Sa mère est toujours vivante, âgée et très affaiblie, mais elle a été une bonne mère, avec lui en tout cas, il n’en avait pas besoin d’une seconde, sèche et autoritaire, toujours à lui donner des ordres. Quand il a commencé ses études supérieures, forcément dans l’ornithologie, depuis tout petit il s’occupait des oiseaux, elle a tout fait pour l’en dissuader, il aurait mieux fait de se lancer dans le commerce, dans la finance, là il allait crever de faim… Il s’est éloigné, a évité de la voir quand ce n’était pas absolument nécessaire. Et l’a laissée à sa vie de couple médiocre, un mari banquier sans conversation, sinistre comme la pluie, elle femme au foyer triste, sans enfants qu’ils n’ont jamais pu avoir, se réfugiant dans les séries télé, les romans à l’eau de rose, et les quelques amies aux vies aussi médiocres que la sienne pour quelques thés et échanges de recettes de cuisine. Et puis un jour son mari est parti avec sa secrétaire, si classique ! elle n’avait rien vu venir… elle s’est retrouvée larguée, avec une pension alimentaire et sa part d’héritage de notre père qui venait de mourir… elle est revenue ici, a pris un petit appartement, et une vie sociale… à la recherche d’une de ces situations romantiques vécues par procuration qui la vengerait de son mari.
- Et je suis devenu le vengeur…
- Peut-être…
- À mon corps défendant ! Et je n’ai aucune envie de me retrouver à côté d’elle à un diner !
- J’ai bien compris… et je crois que pour les bobards, tu en as assez entendu, et moi aussi. Je t’invite, ce n’est pas ma sœur qui fait les invitations, je l’invite aussi, mais je vais en parler avec Carole, nous ferons un plan de table où tu seras le plus éloigné d’elle possible.
- Ouais… mais il reste l’apéritif, le café… elle va bien se débrouiller pour me coller…
- L’art de l’esquive, cher ami, l’art de l’esquive. Bobards et esquive…
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à suivre...
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