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Jour de vertige

Me voilà bien avancé maintenant ! Je le savais, pourtant, qu’il valait mieux pas m’aventurer là-dedans. J’ai voulu aller jusqu’au bout. Tant pis. Il me reste plus qu’à ruminer. Me morfondre, c’est pourtant pas mon genre, mais là, j’y ai été un peu fort. Heureusement qu’y a pas de glace dans cette turne, ça m’évite la honte de me voir en face. Mes beaux yeux clairs, fini, les filles !

 

Cette sonnerie qui retentit encore. Ils savent pas faire calme. Et pourtant, le respect des pensionnaires, c’est le grand mot du jour ! Depuis qu’ils ont eu quelques départs précipités, ils savent plus où donner de la tête pour redorer leur blason. Ils pourraient apporter la soupe sans réveiller tout le quartier. Pour ce qu’ils nous servent, insipide. Le charriot qui roule dans le couloir, ça doit leur donner une contenance. Plateau minimum ce soir, jambon-purée-yaourt, ils nous prennent pour des gosses.

 

Je crois que je vais pas beaucoup manger, là. Ma décision est prise, pas la peine de me charger l’estomac. Juste un peu pour pas m’attirer de remarques. Passer inaperçu le plus longtemps possible, indispensable. Sinon, ils vont se précipiter, et j’aurai tout préparé pour rien. J’ai trop mal, ça peut pas continuer. Les reproches, j’ai besoin de personne pour ça. Ils m’ont bien proposé des cachets pour m’aider, mais je voudrais pas m’endormir !

 

Pourtant, j’ai de la chance, qu’ils disent, ils m’ont mis seul. Peur de l’influence des plus âgés, ils se sont fait remonter les bretelles ces derniers jours. Peur aussi que je sème la panique, trop intello, c’est rare par ici. Alors, j’aurais toutes les conditions pour dormir sur mes deux oreilles. Mais la trouille est là, bien plantée. Ils croiront avoir tout fait pour que je ne sois pas le suivant sur la liste.

 

Mon cœur bat, j’ai chaud, ce vertige, j’étouffe.  Pas me rater, cette fois. Quand ils sont venus me chercher, pas dans la douceur, ils ont cru m’intimider. Pas d’objets personnels. Mais on trouve toujours quand on veut. Qu’ils se rassurent, mon geste n’aura rien à voir avec eux. Un défi de moi à moi ! Pour ne plus supporter la honte de me regarder en face. Mais ils ne le sauront pas, et je vais grossir leurs statistiques. Dommage, ils font ce qu’ils peuvent.

 

J’aurais bien attendu quelques jours de plus. Pour réfléchir encore. Le remords a du répondant. Mais c’est plus possible. Trop peur du regard de mes parents. Mon père surtout, ça monte tout de suite. Trop inquiet. Evidemment que je l’avais pas prévue, la femme enceinte qui traversait à ce moment-là. Les potes du LEP m’avaient fait la leçon. Eux, les lascars, faisaient le plus gros. Moi, le lycée général, le bourge, je me contentais de surveiller. Juste appeler, rien d’autre. Mais j’ai voulu faire l’intéressant. Et il a fallu qu’elle déboule.

 

Ma mère me prend toujours pour son petit. Elle a rien vu, toutes ces années. Quand je rentrais du collège, l’air bizarre, elle gobait tout. Elle voyait bien des reportages à la télé, mais toutes ces histoires ça se passe toujours au loin. J’ai eu le temps de m’entrainer tranquille. La sensation d’étouffement qui s’arrête juste au moment où la tête explose. La défonce. Pas besoin de produits.

 

Cette femme qui traverse, elle pouvait pas attendre deux minutes ? Si son bébé…  Comment savoir ? Les autres, eux, y se sont barrés. Remarque, j’ai bien fait mon boulot en un sens, eux, ils ont été tranquilles.  Mais j’avais pas prévu ça. Je voulais juste sortir de cette vie de merde. Mon père, qu’est-ce qu’il me tassait quand il m’entendait, tu sais pas qu’il y a des gens qui souffrent, qui sont dans la misère, qu’est-ce que tu es pour te plaindre ? et tout, et tout… Un peu d’excitation, ça fait pas de mal. Sinon, lycée, dodo, famille, t’en as vite fait le tour.

 

La nuit commence à tomber, je vais être tranquille. Avec le tapage qu’ils font  à la télé, c’était pas dur de trouver un moyen, même s’ils m’ont tout piqué, médocs, ceinture, bandana…  Foulard qu’ils appellent ça, je vais leur en montrer des foulards, qu’elles portent les filles d’à côté de chez Jonathan ! Tu prends un bout du drap, doucement, ça se déchire ; tu fais pas de bruit, ils passent régulièrement dans le couloir. Rien à dire, ils font bien leur boulot.

 

Ils vont croire que c’est à cause d’eux. C’est ce qui m’embête le plus, qu’ils trinquent à cause de moi. Mais je peux pas supporter la suite. Rien que l’idée. Les parents qui font la morale, tout contents de m’avoir remis dans le rail. Sans s’occuper une minute de ma conscience. Les profs qui font comme s’ils ne savaient rien. Les voisins qui parlent derrière mon dos. Trop contents, tous qu’enfin il y en ait un qui se soit fait plomber.

 

Mes pieds sont froids. Les fourmis dans mes doigts. Mes joues chauffent. Ouhhh… La sueur le long de ma colonne. Ce bruit métallique dans le couloir, ça monte, ça tire… Arrêtez, mes tympans explosent. Serrer. Encore un peu. Ma tête, ma tête, les veines de ma nuque sautent l’une après l’autre. Les frissons dans mon crâne. Mon front brule. Serrer. Je m’envole. Je m’enfonce…

 

-          Monsieur le Directeur, venez vite!

-          Encore un ! Appelez l’ambulance ! Dépêchez-vous ! On a peut-être encore une chance, cette fois !

 

 



05/12/2009

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