Saint Pétersbourg - Chronique d'une solitude annoncée - Jour 5
Vendredi.
Il a neigé hier soir, une petite couche, qui a tenu la nuit, mais à midi plus rien, grisaille humide…
Ma santé ne s’améliore pas, toujours une toux caverneuse, le vilain virus chopé en France s’accroche, et m’empêche de trouver un sommeil réparateur. Je pars un peu tard après avoir rangé mes affaires, je dois changer de chambre aujourd’hui, et la légère fièvre qui m’accompagne me ralentit. Je prends mon temps pour regarder les rues, les gens, la perspective Nevsky, cette avenue mythique maintenant fort occupée par les voitures mais néanmoins saisissante.
Une pensée me tourne dans la tête depuis ce que j’ai écrit hier, la question du silence et de l’adieu. Je m’amuse depuis quelques jours d’une petite carte humoristique pour régler son compte au passé. Mais je tombe alors dans une forme d'adieu qui, pour être classe, n’atteindrait peut-être pas son but. Penser encore.
Le temps de grisaille et ma santé moyenne me guident vers cette partie de l’Ermitage que je n’ai pas encore visité, l’État-Major. J’ai lu qu’il abrite les collections des XIX-XXème, les impressionnistes notamment, le bâtiment extérieur en arrondi donne l’impression d’un arc de cercle à étages un peu poussiéreux. Rien à voir, ni avec ce que je pouvais craindre, ni avec l’Ermitage classique. Le modernisme a gagné du terrain, une signalétique lumineuse très jolie et efficace guide mes pas. Et, après une entrée assez longue, je suis saisie par un escalier monumental qui habille le début de la partie centrale. Un escalier de verre translucide vert encastré dans un gigantesque escalier de bois clair pour arriver au centre du bâtiment autour duquel s’organisent les salles en double arc de cercle. Et cet escalier est prolongé par une série de salles immenses dont je suis incapable d’évaluer la hauteur, vingt mètres ? Époustouflant, je n’ai jamais rien vu de pareil. Dans la première salle, une installation de bois, le Wagon rouge, d’Ilya et Emilia Kabakov.
La collection du musée est impressionnante, comme si les tableaux les plus célèbres de tous les grands peintres français du XIXème et du début du XXème étaient là. C’est connu, on le sait, mais cela ne laisse de sidérer quand on parcourt les salles. Et l’intérêt de ce musée c’est la tranquillité ; c’est l’hiver, mais dans la partie classique de l’Ermitage, il y a toujours foule. Ici, calme absolu, le temps de voir, savourer, photographier, s’asseoir.
Le Napoléon de Gros et la Joséphine de Gérard ouvrent le bal. Une Jeanne d’Arc en triptyque allemand. Un Friedrich pour la mélancolie et la grandeur péterbourgeoises.
Quelques surprises inattendues, une salle immense présente quelques très grandes toiles d’un jeune peintre russe promis à un grand succès, Adrian Ghenie.
Adrian Ghenie, La ferme
La salle Maurice Denis, restaurée grâce au mécénat Louis Vuitton, deux jeunes Russes passent plus de temps à photographier le logo qu’à admirer la salle.
Anselm Kieffer, et je m’approche de la sortie annoncée par un Soulages, puis la salle Kandisky. Un beau moment.
Anselm Kieffer
Et je lis les commentaires sur mon jour 4, qui a suscité des émotions… Certes, tourner la page… après le silence, savoir en sortir, le silence pour grandir ou le silence pour oublier… je n’ai pas la réponse à ma question du jour.
Ce soir cinéma français à l’hôtel d’Angleterre avec Tatiana, une très jolie salle précieuse, peu fréquentée. Un film français sous-titré en russe, Donne-moi des ailes, de Nicolas Vanier, un beau parcours initiatique à la Nils Holgerson pour adolescent, avec beaucoup d'humour.
Fin de la soirée dans un café-jazz pour un petit diner, nous parlons de nos vies, je lui pose ma question sur l'adieu, elle ne me répond pas, mais dit qu'il vaut mieux mettre un point final, c'est plus clair. Elle me demande plus tard si j'ai ma réponse, je ne crois pas... Parce que je ne sais pas si je veux une réponse.
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