lettrines-vivianeyoux.blog4ever.com

lettrines-vivianeyoux.blog4ever.com

Quand les oiseaux se sont tus

 

Et s'il était des jours où les oiseaux ne se taisent pas
                       Et s'il était des jours où les petites filles ont mieux à voir
                             Et s'il était des jours où les statistiques macabres s'enrayent

 

 

…Maman m'a dit de pas sortir toute seule. Je peux aller jouer dans le jardin, là, elle veut bien, mais dans la rue, non. J'ai tout, dans le jardin, mon papa m'a mis une maison pour jouer, rouge et jaune, juste pour moi ; et pour ma petite sœur aussi, mais elle est trop petite encore, des fois elle vient, mais il faut bien la surveiller ; on a aussi un bac à sable, et des vélos, un vélo de bébé pour ma petite sœur, et un grand pour moi. C'est pas trop facile de rouler dans le jardin, je préfère sur la route, mais j'y vais pas toute seule, sur la route. Elle est jolie, ma maison, et encore plus depuis qu'ils ont fait la clôture, comme dit papy, je sais pas bien ce que c'est, une clôture, mais ils ont mis des jolis poteaux, tout blancs et bien droits. Ils ont pu finir les travaux depuis que maman est revenue dans la maison. J'avais pas trop aimé quand elle était partie, des fois on était avec elle, des fois avec papa, des fois avec mamie. Moi j'aime mieux quand on est tous dans la maison. Maman m'a fait une belle chambre, toute bleue, je suis contente, j'aime pas trop le rose comme celle de ma petite sœur, je veux pas lui dire pour pas lui faire de peine, mais c'est vraiment ma chambre qui est la plus belle. J'entends les oiseaux quand je vais me coucher, je cherche celui que je préfère, il vient toujours chanter le soir. Des fois, il y a des copains de papa qui viennent, ils font pas beaucoup de bruit, ils jouent un moment à ce grand jeu que papa a mis en plein milieu. Maman, elle ne voulait pas au début, elle trouvait que ça prenait trop de place, mais quand elle est revenue, elle a dit que c'était d'accord pour le billard, et papa il était trop content, et fier. Des fois, ses copains restent plus longtemps, ils emportent de la bière et le bruit, ça me réveille, quand ils rient ça va, mais j'aime pas quand ils parlent fort. Les cris, j'aime pas ça, je préfère la voix de ma maitresse, toute douce, des fois elle se fâche un peu avec les enfants qui sont pas sages, mais en parlant calmement, et ils arrêtent. Avant, chez nous, c'était pareil, des voix douces. J'ai pas aimé quand papa, il a commencé à crier sur maman, je comprenais pas pourquoi, moi, quand on crie, j'écoute pas. Une fois, il l'a même attrapée par le cou, et il l'a secouée, maman elle a eu peur, moi aussi, et je voulais pas que ma petite sœur voie ça, je suis la plus grande, il faut que je la protège. Après, il s'est excusé, il a demandé pardon à maman, il lui a dit aussi qu'il fallait qu'elle arrête, qu'elle arrête quoi, je sais pas, maman nous a fait un gâteau, j'adore son gâteau au chocolat, elle s'occupe super bien de nous, maman, je l'adore, c'est ma maman.

 

Elle me dit toujours de pas sortir toute seule. Mais papa, je sais pas où il est, il a crié, papa, crié fort, et je sais pas où il est. Il faut que je protège maman, ma petite sœur est dans son lit, je vais trouver quelqu'un pour maman, elle me fâchera pas, cette fois : si je vais dans la rue, c'est pour elle, et pour ma petite sœur. Je suis pas habillée, mais c'est pas grave, je mettrai mon pyjama en rentrant, toute seule, maman sera contente. Je marche bien sur le trottoir, il faut faire attention avec les voitures, je vais aller le dire à la dame, là-bas, je la connais pas, mais tant pis, je lui dis quand même :     

-   Maman, elle dort. Elle est toute rouge.

-   Qu'est-ce que tu fais là, toute seule, en culotte, tu disais quelque chose ?

-   C'est maman, elle dort, y a plein de rouge...

-   Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? Qu'est-ce qu'elle a ta maman, elle a eu un accident ? Tu vas où comme ça ?

-   Je voulais le dire à ma maitresse, faut l'aider, ma maman...

-   Attends, l'école est fermée, là... Elle est où, ta maman ? Sur la route, plus loin ?

-   Non, elle est dans ma maison...

-   Ta maison ? Attends, je prends mon téléphone, j'appelle les gendarmes... Elle est où ta maison ?

-   Là...

-   Allo, la gendarmerie, venez vite, je viens de trouver une petite fille dans la rue des Lilas, je crois que sa mère est blessée... Oui, c'est bien ça, juste après le carrefour, en direction du parc...

-   Les gendarmes, qu'est-ce qu'ils vont lui dire, à maman ? Elle a rien fait.

-   T'inquiète pas, ma chérie, ils arrivent, ils vont la sauver, ta maman.

-   Ils connaissent ma maison ?

-   Je leur ai dit où c'est... Mais ils avaient déjà eu un appel, ils sont en route, ils arrivent. Tu vas rester avec moi, en attendant. Tiens, prends mon gilet, tu grelotes, il fait pas froid pourtant.

-   Je mettrai mon pyjama, en rentrant...

-   Oui, en attendant, viens dans mes bras, tu dois être fatiguée, ma grande !

 

Elle est gentille, la dame, je lui ai pas dit, pour ma petite sœur, elle doit dormir, je lui dirai tout à l'heure. Je suis bien dans ses bras, elle sent bon, comme les fleurs chez papy Daniel, je crois que je vais m'endormir. Mais non, faut pas que je dorme, faut aider maman. Je le dirai à ma maitresse comme j'ai été courageuse de sortir toute seule, que j'ai bien fait attention aux voitures, et que j'ai trouvé une dame gentille. Elle va me dire que je suis trop forte, ma maitresse, mais que, quand même, je dois pas traverser la rue toute seule. Je le dirai pas à mamie Françoise, elle me fâcherait, elle a toujours peur pour nous, oh là là... Et puis, j'aime pas lui parler de la maison, je crois qu'elle aime plus papa que maman, même quand papa s'est fâché, mamie elle a pas été trop gentille avec maman. Je l'aime beaucoup ma mamie, mais je veux pas tout lui dire parce que ma maman c'est ma maman, et je l'aime plus que tout. Papa aussi je l'aime, c'est un super papa, sauf quand il s'énerve, mais c'est pas souvent. D'habitude il est tout calme, il s'occupe bien de nous tous les jours, il me donne toujours mes Miel Pops le matin, c'est ce que préfère, et ma petite sœur, même si elle a presque deux ans, il veut bien lui donner un biberon. Maman dit qu'il vaut mieux qu'elle mange maintenant, même mamie dit qu'elle est trop grande, mais papa, lui, il est d'accord pour lui donner un biberon des fois, c'est chouette de la voir téter comme un bébé.

 

-   Bonsoir Madame, merci de nous avoir prévenus et de vous être occupée de l'enfant. Nous allons la faire monter dans le camion un moment, notre collègue va s'occuper d'elle.

-   Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est grave ?

-   Plus tard, Madame, plus tard, je ne peux rien vous dire maintenant. Viens, petite, le camion est là, tu veux bien monter avec nous ? Une dame va s'occuper de toi...

-   Oui, mais ma petite sœur...

-   Tu vas la voir tout de suite, ta petite sœur, on est parti la chercher...

-   Elle viendra dans le camion aussi ?

-   Oui, toutes les deux...

-   Mais j'ai pas mes habits, maman elle serait pas contente que je sois en culotte.

-   On va aller te chercher des habits, ne t'inquiète pas.

-   Mon pyjama bleu ?

-   Oui, ton pyjama bleu si tu veux, et ton doudou, tu le lâches pas...

 

Heum, des galettes au chocolat, j'avais faim, maman nous a fait manger vite et nous a couchées tôt, pour l'école demain, et papa était énervé, il voulait lui parler. C'est pas bon comme le gâteau au chocolat de maman, mais ça c'est pour quand je suis très sage, je suis allée sur la route, c'est pas bien. Ma petite sœur elle va pas à l'école, elle est trop petite, elle va chez tata, moi j'y vais plus que le soir, avant elle me gardait aussi, quand j'étais un bébé. Je l'aime bien, la maison de tata, mais je préfère l'école, on fait plein de choses. Moi, je pourrai dire à mes copains que j'ai été dans un camion de gendarmes, et qu'ils sont très gentils. Ils me croiront pas, maitresse, elle, elle me croira, elle me croit toujours, maitresse. C'est super d'être dans un camion de gendarmes, c'est grand, plus grand que la voiture de papa ou de maman. Y a des sièges pour s'assoir, une petite table, comme dans le camping-car de papy Jacques, mais en moins joli. Le camping-car, c'est super, une fois j'y ai été en vacances, pas ma petite sœur, elle était trop petite ; c'était génial, les petits lits, les petits rideaux, la toute petite cuisine, comme dans la maison de poupée de l'école. J'aimerais bien y retourner avec papy Jacques et mamie Rose, dans le camping-car, aussi avec ma petite sœur, sans papa et maman, comme des grandes. Mamie Rose, elle dit qu'elle veut bien mais pas ma petite sœur, elle dit qu'elle est un bébé, j'espère que plus tard elle voudra bien pour qu'on soit toutes les deux ensemble. Et que maman, elle se repose. Papa et maman, ils travaillent beaucoup pour que nous ayons tout, pour que notre maison soit la plus belle. Je veux aller dans ma maison, maintenant, le camion, je l'aime bien, mais j'aime mieux ma maison. Et je veux voir maman. J'ai pas aimé quand je l'ai vue couchée par terre, tout à l'heure, elle avait mal partout, c'était tout rouge autour. Les gendarmes, ils sont venus pour la soigner, quand ils auront fini, ils vont me ramener dans la maison pour que je voie maman.

 

Elle pleure, ma petite sœur, je crois qu'elle a peur du camion des gendarmes, quand on joue toutes les deux avec le gros camion de pompiers que papa nous a acheté, elle adore s'assoir dessus et que je la pousse, à toute vitesse, pas trop quand même, juste pour la faire rire, j'adore quand elle rit très fort, on l'entend de loin, mamy Françoise me dit toujours : "Arrête, tu vas l'énerver, après elle dormira pas", mais moi j'aime bien la faire rire, je dis oui à mamie, oui je vais arrêter, je fais un peu moins fort, mais assez pour qu'elle éclate encore de rire. Si elle pleure, je suis triste, elle pleurait presque pas quand elle était un petit bébé, tout le monde disait qu'elle était si mignonne, qu'elle souriait tout le temps. Juste quand elle avait ses dents, elle pleurait, et quand elle avait très faim, là elle criait, criait, jusqu'à ce qu'elle ait son biberon, et c'était fini. Elle a toujours aimé le biberon, et encore maintenant qu'elle mange plein d'autres choses, même un petit bout de gâteau au chocolat de maman, elle boit le biberon, ça la calme. Maintenant, elle pleure, pourtant la dame gendarme est toute douce, elle l'a câlinée, lui a donné à boire et même un petit morceau de galette au chocolat. Elle vient de s'assoir à côté de moi et de lui mettre la tête dans mes bras, je lui caresse les cheveux, je vais lui chanter la chanson que mamie Rose me chantait dans le camping-car, "une chanson douce…", ça va la calmer.

 

Pourquoi papa vient pas nous chercher, où il est ? Il aurait pas dû nous laisser comme ça, il savait bien qu'on était toutes seules, que maman elle avait mal. Il est sorti de la salle de bain, il a pris ses clés, sûrement pour aller chercher le docteur pour maman. Mais il revenait pas, j'avais peur pour maman, et que ma petite sœur sorte de son lit comme elle arrive à le faire des fois, je voulais chercher ma maitresse. Elle sait toujours quoi faire, maitresse, quand j'ai un bobo, pour maman aussi elle aurait su. C'est les gendarmes qui sont venus, ma maman ils vont la soigner et je vais retourner dans ma maison, je veux aller dans ma maison. Si maman est malade, il faudra qu'on aille chez notre mamie pour dormir, j'aimerais mieux aller chez mamie Rose, comme ça je verrais les poules et les pigeons. Sauf si papa est parti chez mamie Françoise, il y va quand il se dispute avec maman, alors on ira dormir chez mamie Françoise pour être avec notre papa. Oui, mais alors, maman, elle sera où ? Ils vont peut-être l'emmener à l'hôpital. J'aime pas l'hôpital, j'y suis allée qu'une fois quand papy Jacques s'est fait opérer, j'étais contente de voir mon papy, mais pas tous les autres gens, ils étaient trop vieux, ils me faisaient peur, comme s'ils allaient mourir, là, tout de suite. Ma chanson douce, elle a pas réussi à calmer ma petite sœur, j'ai dit à la dame d'envoyer chercher son biberon, c'est la seule solution, maintenant elle tète, je lui parle comme maman, pleure pas mon trésor, ma jolie, mon petit oiseau des iles…

 

-   On dirait que ça va mieux… Tu peux nous dire comment tu t'appelles, maintenant ?

-   Camille… J'ai quatre ans et demi, bientôt cinq ans, je pourrai aller chez les grands. Pas la grande école, mais chez les grands de maternelle.

-   Ah oui, et c'est quand ton anniversaire ?

-   Quand il fait beau. On fera une fête dans le jardin avec mes copains et copines d'école, c'est maman qui l'a dit, et papa il fera une pêche à la ligne. Ils vont être trop contents, mes copains, et je leur montrerai ma chambre, et toute ma maison.

-   Ils sont déjà venus chez toi ?

-   Non, papa voulait pas, il disait que c'était pas fini, qu'il fallait que ce soit tout beau avant de les inviter.

-   Et ta petite sœur, comment elle s'appelle ?

-   Lila, c'est joli, non ? Après, on a deux noms, pas juste celui de papa, maman m'a expliqué, elle veut qu'on ait aussi son nom, elle dit que c'est important, moi je sais pas. Maman, elle a cherché sur son ordinateur pour Lila ce que ça veut dire, ça lui plaisait. Du coup, pour Camille elle a cherché après, et ça lui plaisait aussi. Camille et Lila, c'est bien, mes deux amours, elle nous dit toujours, elle aime bien faire des photos avec nous, elle est belle, ma maman, tu trouves pas ?

-   Si, si, certainement, Camille. Tiens, tu vas jouer un petit peu avec Lila, je vous ai apporté des cubes et des livres…

-   Oh oui, je vais lui raconter une histoire, viens ma Lilou…

 

J'adore lui raconter des histoires, je fais comme maitresse, je regarde les images et je fais l'histoire. Là, c'est facile, maman me l'a déjà raconté, ce livre. C'est l'histoire d'une petite fille avec une capuche rouge, et puis sa grand-mère, et un loup qui se cache, toujours quand j'arrive au loup, Lila elle éclate de rire.

ls croient que je les entends pas, ils disent que je réponds bien, mais je suis grande, moi ! Ils parlent pas beaucoup de maman, je suis sure qu'ils vont la mettre à l'hôpital, mais j'irai la voir, même si j'aime pas les gens qui sont tout vieux. Ils disent le père, est-ce que papa est revenu, j'ai du mal à tout comprendre. Ils disent les grands-parents, ils attendent que leur chef leur dise quoi faire. Lilou s'endort, elle est fatiguée, elle est petite, je continue à tourner les pages, je me raconte l'histoire dans ma tête, mes paupières clignotent, je me frotte les yeux… J'entends plus les oiseaux…

 



24/07/2014

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 11 autres membres