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Georges 1

1.

 

 

Monte, ma belle. Cinquième droite, la porte est ouverte. 

 

Tellement heureux que tu sois venue, chère Muriel…

 

 

 

Muette. Bon, tu étais plus bavarde au téléphone ces derniers jours ! Mais là, toucher de si près cette voix grave, suave, des saccades irradient le long de ma colonne, chaudes-brulantes, reculer, repartir, je pourrais, pas bien sure de moi, de mon choix, si c’en est un. 

 

 

 

Mais cette voix, qui m’enveloppe. Tout ce que je connais de lui, cette voix, enjôleuse, c’est simple, dès que je l’entends, je fonds, trois minutes de son appel désormais quotidien – c’est toujours lui qui appelle – et je suis une flaque. 

 

Ça fait un bail qu’un homme ne m’avait pas fait cet effet.

 

 

 

Mais cette voix… Enfin, faut dire qu’il a des arguments. Pas le genre de plan dont j’aurais eu envie de parler à une copine, trop peur qu’elle me le pique... si j’en avais une à qui je pouvais parler de ça, bon, c’est pas le cas. Beau mec, le mot est faible, genre Hugh Grant de Notting Hill, moins de quarante ans, qu’il s’intéresse à moi qui frôle le cap des cinquante ! De quoi faire craquer sœur Gertrude.

 

 

 

Un couple s’approche de l’immeuble. Entrer, vite, on ne sait jamais. Surtout pas être vue… et pourquoi pas reconnue pendant que tu y es… Fonce, maintenant que tu es là ! Entrée ordinaire, boites à lettres à droite, pas le temps de jeter un coup d’œil aux nomx, escalier à gauche, ascenseur en face, cinquième, c’est bon, personne, le couple est juste en train de faire son code, j’ai une longueur d’avance, ouf !

 

 

 

Porte entrebâillée plus qu’ouverte, que je referme, enfin pas complètement, couloir sombre, je me dirige à la lumière faible du bout, assez pour me diriger, pas pour distinguer précisément ce qui occupe cette pièce que je traverse, il doit y avoir quelques meubles, des chaises, le tout visiblement en bazar, ça pue, qu’est-ce que c’est que cette odeur, de renfermé, de vieux, de mort… pas la peine que je mette à imaginer la poussière… reculer, repartir…

 

 

 

Mais cette voix… Entre, ma toute belle, tout va bien, le jeu commence, va jusqu’à la salle de bain, à droite, la porte est ouverte, oui, c’est ça, c’est moins sombre, là, tu verras…

 

Cette odeur, ça fleure pas la rose, c’est le jeu ? franchement, je préfère quand l’odeur de propre… repartir… bon, j’ai le droit de me dégonfler, personne pour me juger, me reprocher de m’être débinée, de l’avoir bien cherché, d’être allée trop loin… pas le genre de trucs dont je parle… me dégonfler à mes propres yeux, la belle affaire, après tout je peux faire comme si rien de tout ça n’avait jamais existé. 

 

 

 

Si je franchis la porte de cette salle de bain, c’est fini, je suis entrée dans le jeu, ça ne me lâchera pas… le jeu, quand il vous agrippe… j’ai des flashs, un mec que j’ai connu accro au poker, ses justifications, ses atermoiements, et toujours à retomber dedans, il avait beau promettre, se promettre, oui, il arrêtait, il y croyait dur comme fer, quelques jours, puis replongeait… les griffes du jeu… un autre, son portable greffé dans la main, sur des sites et réseaux de rencontre, en continu, la griserie du like, les échanges non-stop, une nouvelle, puis une autre, et ça défile, et il a beau se dire que non, il faut que ça s’arrête, l’ivresse est là, se croire aimé quelques minutes, ça le tient, ne le lâche plus, les griffes d’un drôle de jeu…

 

 

 

Entre, ma douce, la salle de bain, à ta droite, tu vois le masque à côté du lavabo, tu l’ajustes sur tes yeux, noir complet, c’est la règle, tu verras, ça bloque les inhibitions, ça ouvre le champ à des plaisirs inconnus. 

 

 

 

Plaisirs inconnus, j’aurais autant envie de fuir que de plonger tête la première ! Mais cette voix… Plaisirs inconnus, après tout c’est pour ça que je suis venue, et puis, qu’est-ce que je risque, au pire j’arrache le masque, prends mes vêtements et mes jambes à mon cou.

 

 

 

Mets-toi à l’aise, tout va bien… tu n’as pas froid ? et là, déshabille-toi, enlève tes vêtements, doucement, un à un, tu imagines que je te vois faire un strip-tease, excitant, non ?

 

 

 

Bien, le coup du strip-tease, ce côté exciter le mâle qui, c’est vrai, m’excite aussi. Il faut bien cette excitation de deux corps qui se plaisent, se rencontrent, et là, j’ai affaire à un beau morceau, si j’en crois la photo. 

 

 

 

Bon, une photo, ça ne dit jamais ce que deux corps peuvent ressentir à s’effleurer, s’approcher, se toucher. 

 

 

 

Et puis, la photo j’en ai eu qu’une, l’officielle, plus généreux pour en demander que pour en donner, mais bon, c’est le jeu, les yeux bandés, la découverte tactile exacerbée par l’absence de visuel, lui voit, moi je ressens, je me laisse guider, c’était le contrat. Que j’ai accepté.

 

 

 

J’ôte mes vêtements, lentement, le manteau léger, la jupe, le chemisier, la combinette en dentelle, le soutien-gorge, le string, je prends le temps de plier chaque pièce l’une sur l’autre, un joli tas facile à attraper, réflexe primaire si jamais je devais me sauver. 

 

 

 

Je tressaille – pas de froid, la salle de bain est une étuve, bizarre de chauffer autant quand il fait encore si beau dehors – plutôt d’attente, désir, ou inquiétude, ou les deux. 

 

 

 

Et puis une présence, un corps qui s’approche, me frôle, noir complet, bandeau efficace ! 

 

Et cette voix hypnotique Donne-moi ta main, je te dirige, pas question que tu te prennes les pieds dans le tapis, dis-moi, ça t’excite ce scénario, tu es toute frémissante, j’adore, tu es si belle, un corps de rêve, tu gagnes à être connue en vrai ! et vue de près ! cette voix qui m’empoigne, m’entraine, impossible de résister, cette main chaude, presque moite, pas douce, plutôt une mollesse qui se répand dans la mienne, accompagne le timbre de voix grave, sourd, je me perds, m’efface. 

 

Liquéfiée, masse d’aboulie, voilà, je ne suis plus rien, plus là, mon corps répond aux caresses, s’enveloppe d’une carapace de plaisir, ce corps qui explose, qui jouit, de partout, que je ne connais pas, ne reconnais pas, est-ce moi ? Il est fort, le bel inconnu, à me faire jouir plus qu’à chercher son propre plaisir, question d’âge peut-être, là je suis scotchée, pas envie d’arrêter le jeu, respecter jusqu’au bout, garder le bandeau, le mystère…

 

 

 

La voix s’est tue, le calme après la bataille, marche arrière, retrouver la salle d’eau, à tâtons, retirer le bandeau, mon tas de vêtements bien pliés est là, dans le coin, je n’ai pas rêvé, me rhabiller je suppose, aucun souvenir, secouée, plus tard chez moi la douche, cette chaleur qui remonte, fuir, le couloir, sombre, cette odeur, indéfinissable, refermer la porte, doucement, sans bruit, n’éveiller aucun soupçon, je ne suis jamais venue là, je le soutiendrais sous la torture, ne rencontrer personne dans l’ascenseur, dans l’entrée, ouf la rue, en fait tout ça n’a jamais existé, hallucination, fantasme…

 

 

 

 

 

-       Ah, enfin, tu décroches, j’étais prête à déclencher les secours…

 

-       Quoi ? qu’est-ce que…

 

-       Mais tu m’avais bien dit de t’appeler…

 

-       Moi ?

 

-       Oui, tu me l’as assez répété, et précisément cette fin d’après-midi, bon j’ai peut-être appelé un peu tôt, faut dire que tu m’as inquiétée, cette insistance, comme une peur…

 

-       Quoi, Stéphanie, qu’est-ce que…

 

-       Dis donc, tu m’as l’air complètement sonnée toi, qu’est-ce qui se passe ?

 

-       Je sais pas… je vais prendre une douche… j’en ai vraiment besoin… on se parle après.

 

-       Oui, c’est ça, ça va peut-être te remettre les idées en place. Et tu sais quoi, je viens, tu m’inquiètes, je peux pas te laisser seule dans cet état.

 

-       Oh, tu crois…

 

-       Tu discutes pas, je viens, file sous la douche.

 

 

 

 

 

C’était couru d’avance. Elle allait rappliquer. Mais non, pas possible. Raconter cette histoire à ma meilleure amie, bon, pas l’habitude d’entrer dans l’intime avec elle, enfin si, l’intime de la pensée, mais de sexe, jamais, comme si sa vie passait à côté, ou alors, elle aussi, elle préserve farouchement cet intime-là. Donc là, pas le choix, faire vite, inventer un truc plausible qui puisse coller avec mon état, pas vraiment envie, au fond, l’occasion rêvée d’aborder un sujet sagement esquivé jusque-là, ce besoin de sortir de ma léthargie asexuée. Mais non. Je devrais, je pourrais ? Impossible. Stéphanie qui m’écouterait, sans un mot, sans un signe, on dirait que je lui raconterais mon dernier ciné, et encore elle serait plus expansive. 

 

-       Mais t’es folle, aller comme ça chez un mec que tu connais pas, tu te rends compte, il pouvait te violer, te frapper.

-       Eh ben dis donc, tu vois le mal partout ! c’était juste une question d’appart…

-       Ah bon, tu veux déménager, c’est nouveau, ça vient de sortir.

-       Une belle occase, qui m’a interpelée. 

-       Et que tu as trouvée comment, sous les sabots d’un cheval ?

-       Je sais plus le début, mais nous avons beaucoup échangé…

-       Des SMS ? combien de temps ?

-       Trois semaines, peut-être quatre, mais des appels aussi…

-       Ah oui, c’est long dis donc pour un appart ! T’es sûre que c’était sa motivation ?

-       Pas simple, il était pas libre, ou c’était moi, ça a trainé. 

-       Et tu as fini par y aller… pas tranquille quand même puisque tu m’as dit de t’appeler.

-       Il fallait bien que je voie si son offre était valable. Et j’avais envie de t’en parler après.

-       Oui, et donc ?

-       Pas concluant, mais ça je pouvais pas le savoir avant.

-       Bizarre quand même, t’avais l’air complètement sonnée… c’est pour ça que je suis venue bride abattue. 

-       Drôle de mec, je sais pas, j’étais dans du coton, comment te dire… une occase trop belle… ou roulée dans la farine… franchement je comprends toujours pas si je suis tombée sur un philantrope ou sur un tordu…

-       Philanthrope, tu rêves… Je te croyais plus lucide… Et c’était quoi l’offre du siècle ?

-       Grand appart, beau quartier, loyer dérisoire...

-       Et toi, tu tombes dans le panneau ! Pour sûr t’as de la chance qu’il te soit rien arrivé. 

-       Oh là là, tu pars encore dans tes délires…

 

Stéphanie sirote sa tasse de thé, mutique, c’est rare. Inquiétude… ou légère envie… de ce que j’ai osé faire, prendre des risques, qu’elle en arriverait presque à oser rêver, si elle pouvait imaginer la scène ! Je partage son silence. Mon corps réveillé, révélé s’accorde cette pause sans commentaire, sans jugement. Les yeux perdus dans le vide, elle me regarde, se lève et part, rassurée, effrayée, quelque chose entre les deux.

 

 

La nuit porte conseil. Disent-ils. Bon, l’adage ne suffit pas. Mon lit brassé de ce matin ressemble moins à une couche de repos qu’à un champ de bataille. Qui n’a pas eu lieu. Ou alors tempête sous un crâne, bataille de sensations contradictoires, quant aux sentiments n’en parlons pas, je suis assez grande pour m’engueuler moi-même, besoin de l’aide de personne… La lumière entre en force par l’interstice de mes volets, quelle heure ? pas entendu l’alarme ? Il faut que je fonce sous la douche, pas question d’être en retard au boulot, j’ai déjà donné, je vais finir par le choper, cet avertissement, déprimant à mon âge, et puis j’en ai besoin de ce job, pas question de me faire virer. Enroulée dans ma serviette, un café sur le rebord du lavabo, je jette un œil à ma montre, je me suis affolée pour rien, je suis presque en avance, le soleil généreux m’a trompée, j’ai le temps de me maquiller un peu, histoire de cacher les traces de ma nuit agitée, et d’oublier hier. Enfin, oublier…

 

 

 

Sms galant, remerciement sirupeux, il fait bien les choses le roméo, entretenir la flamme au cas où je risquerais de l’oublier, silence, pas le temps de m’attarder. Pas l’envie non plus. Laisser filer, laisser languir. 

 

À l’heure du déjeuner – une salade en terrasse avec deux collègues pour profiter du soleil – sonnerie, je regarde, numéro masqué, je ne réponds pas, peut-être lui, vexé que je l’aie snobé ce matin. 

 

Ou autre chose, ils sont forts en ce moment pour vous traquer jusque sur votre portable, pas de Bloctel qui tienne. Tout est bon, elle en entend, tous les jours, au bureau…

 

c’est un appel, sur répondeur, plus intrusif qu’un sms, proposition intrigante, obscène et alléchante, une voix féminine, demande de rappeler, elle habiterait tout près, précision inquiétante, comment aurait-elle eu son numéro, il flippe un peu, réécoute le message, en fait un 08 le numéro, plié… 

 

c’est un WhatsApp, plus anonyme, sans voix, sans nom, un homme, une image jointe qui ne s’ouvre pas automatiquement, pas remarquée d’abord, sa collègue elle clique, sans savoir pourquoi, et là, effarée, ça doit être ce qu’ils appellent le dick pick, elle ne comprend pas, veut en savoir un peu plus, et ça se met à déblatérer, des insultes, l’impression que c’est un mec qui la connait, ni une ni deux, elle va porter plainte… 

 

c’est les messenger, à la pelle, toujours de nouvelles trouvailles, mais jamais d’appels, même en numéro masqué.

 

 

 

Mon roméo, lui, il m’a toujours appelée en numéro visible, qu’est-ce qui le ferait changer ? Et d’ailleurs ce nom, Julien, qu’il m’a annoncé, c’est fréquent Julien dans cette tranche d’âge, mais au fait, ce nom… j’aurais dû vérifier les boites à lettres… un nom, une photo, une voix, au final, à part la voix, j’ai rien, j’ai bien pu me faire avoir sur toute la ligne, elle a peut-être raison, Stéphanie, sans se douter de ce qui s’est passé…

 

 

 

Bon, je vais bien voir s’il me rappelle, si ses appels quotidiens reprennent, si c’est pas le mec d’un seul coup… ça m’étonnerait vu le sms du matin. 

 

 

 

Envie d’en avoir le cœur net. Qui c’est, ce mec, au fond ? à part la voix, j’ai rien… Et puis tiens, si j’inversais la tendance…

 

 

 

-       Ça va ? Dsl pr ce matin, boulot…

 

-       Tkt   alors le jeu   ta kiffé ?

 

-       Surprise mais pas mal  

 

-       Pas mal !!! ten veux encor ?

 

-       Carrément… pousser plus loin…

 

-       Là tu me plais    ta joui ?

 

-       Ça s’est pas vu ?

 

-       Y en a ki simul 

 

-       Je peux te dire que moi non !

 

-       Tu reviens ?

 

-       Pas tout de suite, mais oui

 

-       Le jeu, tjrs, contrat n°2

 

-       Carrément, vitesse supérieure

 

-       Je tappel 

 

-       Oui mais pas de numéro masqué je réponds pas

 

-       OK

 

 

 

Les dés en sont jetés. C’est clair, il a mordu, sûr qu’il n’attendait que ça, que je revienne. 
Le prendre de revers. Jouer son jeu. Maintenant que je sais à quoi je m’attends, autant mener la danse, je me coule dans le moule. Le jeu, en gros, je vois. Le bandeau et tout le toutim, même s’il corse un peu, je connais. L’odeur, la distribution des pièces, je devrais m’en sortir… Y a plus qu’à… Voir à qui j’ai affaire, en fait. Attendre quelques jours, patience. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



02/12/2021
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