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Georges 2

 

2.

 

La journée s’étire. Un dimanche sans projet. Sans attentes. Ou plutôt si, bourré d’attente. Ce corps qui vibre de sensations retrouvées, est-ce bien le mien ? Cette tête qui ressasse les craintes instillées par Stéphanie. Je n’ai pas pu m’empêcher, hier, samedi ordinaire, de faire un tour du côté de cet immeuble, cet appartement aux volets fermés sur la rue dont l’odeur me hante. Je suis juste passée devant, rien que la vie de tous les jours, un couple de retraités avec son cabas de courses, une mamie aux cheveux gris permanentés comme sortis d’un autre âge, un père avec une poussette, la factrice avec son passe, j’ai failli m’engouffrer derrière elle, me suis retenue, risque inutile. Bon, cette histoire va finir par me ravager les neurones. Pour sûr, il a réussi son coup, le Julien. Enfin, si Julien il y a. Un doute en entraine un autre, sortir de ce cycle. Faire diversion. Direction la cuisine. 

 

Sur quoi me rabattre ? Réduire mes nerfs à néant, pas question de les laisser se mettre en pelote, du sucré, des macarons, pas mal, le gout d’amandes, la légère amertume, mais bon, pour du sucré, c’est du sucré, un peu trop, je friserais l’écœurement. Des sablés plus sobres, pourquoi pas, amusant passe-temps, mais je risque de tomber la tête la première dans la boite, et bonjour les bourrelets. Maintenant que je redécouvre mon corps et ses sensations, pas le moment de me laisser aller. Un pain d’épices, bonne pioche, mielleux mais pas trop sucré, un bouquet d’épices à damner un moine, et la recette recommande instamment de le laisser reposer une journée avant d’y toucher, je parie que je suis capable de respecter cette injonction ! hop en cuisine, chauffer le miel, touiller la farine, les œufs, la vergeoise,  les épices, narines en émoi, hacher des amandes, les fruits secs, le miel, une couleur brun pâle et un parfum qui évoquent les feuilles d’automne, quand il commence à faire bon rentrer se mettre au chaud… laisser cuire à four doux, lentement…  Et en attendant, bon, une petite folie, ces sablés aux graines d’anis vert, pâte simple et rapide, le plus long – et c’est bien ce dont j’ai besoin, passer du temps – c’est de la rouler, de découper des formes à l’emporte-pièce, de toute façon le four est occupé, le temps que le pain d’épices cuise, et il sera chaud, dix minutes de plus et le tour sera joué. La farine, le beurre, la poudre d’amandes, le sucre, l’œuf, et les graines d’anis vert, et je malaxe, et je pétris, et voilà, une belle pâte souffle, je l’étale sur le plan de travail, la déroule, et l’amusement commence, des étoiles, des cercles, des carrés style petit lu, les réguliers vont rejoindre les irréguliers sur la plaque de four, j’ai dix ans, tout est oublié, mes neurones en capilotade, mes nerfs pas si sympathiques, le four sonne, le pain d’épices, une allumette pour vérifier la cuisson, parfait, je n’ai plus qu’à le sortir pour qu’il prenne l’air, j’enfourne la plaque des sablés, très vite un autre parfum envahit la cuisine, la pâte légèrement anisée, hmmm… le rêve, surveiller le four, ils sont petits, cuisent très vite, les sortir sur une grille, une douce chaleur m’enveloppe, un autre plaisir, une enfance étirée vers le fruit défendu, ces sablés qui vont refroidir vite, ces petites bouchées de douceur qui m’attendent, du sucré mais pas trop, du beurre, c’est vrai, mais bon… 

 

Sonnerie, brutale, c’est toujours brutal une sonnerie, qui me tire de mes pensées, le four, sortir les sablés immédiatement. La sonnerie continue. Une autre. Téléphone, on dirait. Où est-il ? Me diriger au son, sur la table, caché sous une facture, le temps que je l’attrape, terminé. Non, il reprend, pas découragé, numéro affiché cette fois, ou plutôt le nom, Julien, je laisse passer trois sonneries, besoin de me préparer mentalement, je décroche. 

-       Comment vas-tu, ma belle ?

-       Ça va, comme un dimanche…

-       Tu aurais mieux fait de venir me voir…

-       J’ai besoin d’un peu de temps…

-       De temps… pour quoi ? que fais-tu ?

-       Oh, des trucs à faire, et prendre mon temps, le dimanche, c’est fait pour ça.

-       Oui, c’est vrai, mais j’aimerais tellement occuper ton dimanche autrement. Mais je vois bien que tu repousses, pourtant tu avais aimé, on dirait.

Cette voix qui m’enveloppe. J’aimerais résister. C’est ce que j’avais décidé. Je vole en éclats avec ma décision, je transige avec moi-même, pour combien de temps…

-       Je vais venir, dans quelques jours, sois patient, mercredi  cinq-à-sept si tu veux.

-       Ah non, mercredi c’est pas possible, c’est maintenant que tu devrais venir… tellement envie de caresser ton corps, ton entrecuisse, te faire jouir à l’aveugle.

-       Laisse-moi le temps de m’habituer, tes scénarios sont impliquants… pas facile…

-       Mais laisse-toi aller, ma belle, sans freins…

-       J’essaie…j’essaie… alors vendredi ?

-       Vendredi c’est bon, même heure ?

-       Cinq-à-sept, c’est bon…

-       Le même scénario, avec quelques petites surprises.

-       Ok, je me prépare à l’idée.

 

Voilà. Le rendez-vous est calé. Sans trop de précipitation, ne pas me jeter sans réfléchir dans ce nouveau guet-apens.

 

Et puis, tiens, j’ai compris que mercredi il a quelque chose l’après-midi. Je ne sais rien de sa vie, quel boulot, quels horaires, quelles occupations ? Il doit bien avoir un métier. Et cet appartement, ça colle pas bien avec son âge, comme s’il logeait chez une vieille tante. Qui se retournerait dans sa tombe. Peut-être. 

 

Si j’allais tourner autour de chez lui mercredi en fin d’après-midi… guetter s’il est là, ce qu’il fait. Non, là je tombe dans le polar de seconde zone, surveillance morbide, halte ma grande, tu t’égares.

 

-       Allo Steph, on se fait notre ciné du dimanche soir ? Pas d’autre urgence ? OK ma douce, tu choisis, je te retrouve, 18h, parfait… ça va nous changer les idées avant le taf demain, oh non, je dirais pas que j’ai pensé tout le weekend aux dossiers en cours, la tête ailleurs, mais bon, oui, une comédie plutôt, à plus, le temps de me pomponner un peu.



22/12/2021
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