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A 7 ans, je m’inventais des langues étrangères. Ou étranges. Mais surtout inaccessibles aux autres, puisque, comme tout enfant qui s’estime bien sûr incompris, je préférais finalement renforcer ma solitude et réserver mes confidences à cette amie intérieure, mon double attentif,  seule à comprendre mon idiome idéal.

Loin de m’enfermer  pour méditer sur mes malheurs imaginaires, j’exerçais mon art au-dehors. Notre maison, la dernière du hameau juste avant les chemins et les champs, ouvrait sur une longue cour, bâtie au fur et à mesure des besoins, et rebâtie aussitôt après les incendies. La grange la plus ancienne, divisée et surélevée, abritait nos explorations et nos jeux. C’est dans l’atelier, petite pièce qui servait aussi d’entrée à ce dédale de petites salles, que j’eus, dès trois ans et demi, ce mot d’enfant resté célèbre dans la famille : « J’apprendrai à lire à l’école ! » L’habitude, à la campagne où il n’y avait pas de maternelle, et où on entrait à l’école à quatre, cinq ou six ans selon la culture familiale, était d’apprendre à lire aux enfants à la maison, pour qu’ils n’arrivent pas à l’école ne sachant rien, question d’honneur ! Et, à ma mère qui voulait donc commencer à m’apprendre à lire, comme elle l’avait déjà fait avec mon frère ainé, j’osais contester bruyamment ce droit maternel, ce qui la fit beaucoup rire et lui donna une idée précoce de mon caractère qui ne se démentirait pas par la suite.
           Mais, mes ratiocinations intérieures, plutôt que dans la grange, se tenaient dehors, dans la partie de la cour en-dessous du garage, en contrebas de la maison d’où personne ne pouvait me voir, mais au-dessus de la route principale, puisque notre cour formait un plateau. Faisant les cent pas, je créais mes mots qui me transportaient loin de mon univers familier que j’avais bien peu quitté jusque-là.