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Radieux radiateurs

Parallélépipèdes blanchâtres, les radiateurs font masse, ils saturent l’espace sous les fenêtres ; comme si un seul ne suffisait pas, ils sont cinq à se serrer les coudes, histoire de faire front à ceux qui oseraient trouver leur présence incongrue en ces lieux.

 

Leur enveloppe de tôle fait sa fière, parure à glyphes verticaux ; les triglyphes encadrés de métopes des portes doriques font grise mine ; quitte à être glyphes, autant l’être en grand, leurs colonnes de Buren s’alignent sans compter pour guider le regard vers les trouées de lumière.

 

Ils rayonnent, et offrent, compatissants, leurs points de fuite aux photographes désespérés d’avoir tant de mal à faire le focus avec toutes ces fenêtres.

 

Ils ronronnent, douce source de chaleur en hiver, dès que les beaux jours arrivent ils jouent les économes et laissent le soleil suivre sa course quotidienne, timide le matin côté jardin, généreux à midi côté cour, tardif et fiévreux côté champs, furieux d’avoir été bloqué à son zénith ; qui a bien pu avoir l’idée saugrenue – mais si confortable durant les étés brulants – d’ouvrir cette pièce à deux-cent-quarante degrés, cinq fenêtres mais pas une au sud !

 

Radieux, ils s’étalent, prennent leurs aises, ils en déborderaient presque, s’ils pouvaient, jaloux de rester enfermés entre ces quatre murs, envieux de l’escalier aux marches creusées.

C’est qu’il en a vu passer, l’escalier ! Il ne la ramène pas, il se la joue modeste, rien à dire, ses pierres parlent d’elles-mêmes. On peut bien l’envier, peu l’en chaut, il s’étale, large, une volée après l’autre, que les enfants comptent et recomptent, mais combien y a de marches en tout ?

 

Et combien de fenêtres dans tout le château ? Question aussi piégeuse que récurrente… Mais eux, les radiateurs, personne n’a jamais demandé combien ils sont. Combien ils étaient, impossible, ils sont trop jeunes pour mériter l’imparfait… Mais, même le présent, ils s’en contenteraient. Certains se risquent bien à demander, ou plutôt suggérer, les yeux rivés au plafond : « ça doit pas être facile à chauffer ». Et les propriétaires de minauder, oh mais en hiver, nous fermons… Quelques toussotements dans les tuyaux, et ils se reprennent, ces ingrats, mais dans les pièces chauffées, il fait bon, c’est juste les escaliers qui ne sont pas chauffés.

 

Ils jubilent, ils rayonnent, ils ronronnent, les radieux ! Ils la tiennent leur revanche. Tout patinés par les ans qu’ils soient, les escaliers sont coiffés au poteau par la petite phrase assassine. Ils peuvent leur faire le coup du mépris, les radiateurs ; en été, passe encore les vieilles pierres, mais dans les grands froids d’hiver, qui ne préfère leur douce chaleur ? Leur arme, quand tout le monde les lâche pour s’extasier devant les sculptures et les peintures, dédaignant du regard le confort moderne : le coup de la panne. Oh, il ne faut pas en abuser, mais en cas de nécessité extrême, c’est leur botte de Nevers. Puis, leur vengeance assouvie, l’eau chaude recommence à irriguer leur circuit, et ça file doux. Ils existent, un peu, les radieux.



13/06/2016

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