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Blackout, de Gabriel Henry

Les éditions du Panseur, octobre 2023 - ISBN 978-2-490834-16-7

Blackout. Ce titre suscite une interrogation, quel est ce trou noir dans lequel Ulysse est plongé ? Vers quel monde – intérieur… extérieur – Ulysse revient-il ? Un grand retour… Le roman avance par petites touches, posant çà et là de petits cailloux qui lentement feront sens…

Dès les premières lignes, l’ailleurs est posé. « C’est au bout du jardin. Au bout du monde. Il n’y a pas de lumière. Pas d’eau courante non plus. Ici, l’eau ne file pas sagement dans des tubes ni ne répond à aucun robinet. Elle est rare, précieuse et pure […] » Ce monde sauvage, « glacis d’un ciel tendu d’étoiles à la fois très lointain et très intime », plonge notre homme désorienté dans un paysage immuable, infini, sans bornes. Qu’est-il venu faire là ? Une chienne apparait, métaphore souffrante de ses propres blessures. Qui ne nous seront dites que plus tard, quand le récit le demandera. 

Car la force de ce roman réside dans son écriture, sans emphase, lente et calme, qui ne nous dévoile, au fur et à mesure, que ce nous avons besoin de savoir à cette minute, le reste attendra. Et le roman se met en place peu à peu, un récit se construit, et c’est bien là l’essentiel, il nous demande de prendre notre temps, d’attendre un peu, de ne pas être si pressés, et de suivre tranquillement notre personnage plongé dans ce hors-temps des steppes mongoles que nous identifions progressivement.

Ulysse est parti de Roissy ; un long voyage avec sa compagne Ariunaa l’emmène dans un village qu’il ne croit pas avoir connu, il ne sait plus, des parents l’accueillent à bras ouverts et tout sourires, comme un fils, dans une langue inconnue dont il n’a pas besoin pour recueillir leur bienveillance. Une infirmière vient faire ses pansements,  elle parle beaucoup avec la famille, mais avec lui, le blessé, c’est un silence qui comprend. Il a ordre de se reposer, pour guérir. De quoi, il ne sait pas. Quel accident a pu le mettre dans cet état ? Alors il se repose, s’imprègne de cette nature si forte, si présente. Ariunaa retrouve la vie simple de ses parents, elle s’y fond comme avant d’aller en France, pour refaire surface et prendre le temps de dire à Ulysse pourquoi elle a dû l’éloigner, pourquoi elle l’a emmené si loin, dans ce pays qu’il n’a jamais connu, non, cela il ne l’a pas oublié. Son « accident », est-il sûr de ne se souvenir de rien ? Alors, elle lui dit, quelques mots, puis un peu plus, et l’irréparable se fait jour, qu’il ne peut croire. Et puis oui, il faut bien qu’il accepte, qu’il s’habitue à l’idée de ce qu’il a fait et à ces steppes désolées, il apprend la langue, quelques mots, quelques phrases pour se faire comprendre, il élargit légèrement cet univers dans lequel il est confiné. 

Mais peut-il vraiment accepter l’indicible ? Il essaie de percevoir ce qui se dit autour de lui, ce que les parents, l’infirmière, ceux qui l’entourent, pensent de lui, ce qu’ils savent, ce qu’ils ont compris. Et si ce n’était pas l’important. Si le cheminement qui se fait en lui était le retour vers une Ithaque consolatrice… Mais Ulysse peut-il se consoler de son forfait, est-ce un crime dont il peut se relever ? Même le chamane chez qui il est conduit n'y peut rien, c’est seul qu’il doit assumer la vérité. Qui chancelle sous le poids de la réalité, une nouvelle tombée d’internet efface sa culpabilité suprême. 

Mais sa plaie, que le blackout stabilisait, ne cicatrise pas. La fièvre monte. Les mots d’Ulysse sont délire. Sa blessure le relie à la nature, à la terre, au feu, à la chienne meurtrie… La boucle du retour est bouclée. Ulysse peut-il supporter sa mémoire retrouvée ?

« Tandis que tous les sucs de la Nature s’allient pour une danse féconde et funeste à la fois ; tandis que […] ; tandis que […]… Ulysse ferme les yeux. »

Ce roman à la langue épurée et douce nous entraine dans la dureté de nos parcours de vie dont tant de motifs nous échappent, il laisse Ulysse nous guider lentement vers ce retour si profond sur nos oublis et vérités.

Note de lecture de Viviane Youx - https://lettrines-vivianeyoux.blog4ever.com/